Par une nuit de longtemps j'ai tendu cette toile
et j'ai torché le fond avec du noir qui n'a jamais séché
alors tous les matins j'aimerai bien foutre un coup de jaune
une grande claque de rouge
me faire peur jusqu'à même jeter du vert
mais ma palette se noie dans le fond glouton qui rend fou
et je cogne de la tête et du corps et je me noie presque aussi
alors le goulot se disperse et je reste là un moment
j'ouvre les yeux sur mon image
je me regarde
je suis noir
ai-je vraiment bien cerné le problème
sur cette blême toile qui me dévoile
y-ai-je vraiment jeté tous mes contrastes
toutes mes noirceurs toutes mes lumières
ai-je bien tendu mon cri
planté sur son châssis
apprêté de blanc comme pour un mariage
une nouvelle mémoire glissant sur du pastel gras
une nouvelle vie crissant au bout des doigts
n'y a t-il pas bien plus que des mots
au coeur d'un mouvement qui meurt d'une couleur
faisant nôtre son immobile vivacité
tangos tons sur tons patinants de torrides glacis
et moi buvant dans tous les verres
ai-je vraiment goûté tous les rouge
pour bleuter chaque petit matin d'un grand rire jaune
ai-je vraiment découvert le spectre entier
trouvé matière à refaire surface
n'ai-je pas tracé de trop longues lignes de fuite
pour une si petite perspective
car je n'ai pas trouvé la couleur qui n'existe pas
qu'aucun œil n'a jamais pu voir
alors coule de ma main
le mince filet de noirceur
le sang du fusain comme évadé de mes doigts
qui se transporte au grés de mon fantasme
roule et déboule sur le cri du blanc
dans ses voluptes et ses fastes
il s'enroule aux sentiments.