LE CHIEN ROUGE

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Extraits
HISTOIRES COURTES
LE CHIEN ROUGE
BUTTES CHAUMONT
NOIR FUSAIN

Un chien rouge qui court les rues
dévalant ses babines se mord la langue et s'enrage lui-même
il mâche et remâche encore
aboyant son sang aux caravanes des dieux
comme le bâton de Moïse il rougira les eaux il rougira la ville
le chien rouge qui court les rues
n'a d'amis que ceux qu'il a perdu
n'a de regrets que pour ses chicos restés plantés dans les marigots d'amour
il va marchant quatre à quatre
piétinant de toutes ses pattes les huit tétines de sa mère
 
le chien rouge qui rugit le tonnerre
crache sa lave comme un furoncle de la terre
il répand ses cendres au fin fond de la lumière
et déchire le jour de ses crocs noirs
de son haleine de soufrière
il crache ses mots comme on jette des pierres
le chien rouge n'a d'aventure
que sa tête de plus en plus dure
 
le chien rouge qui court les rues
n'est d'aucun pays où se nicher
il ne su jamais vraiment
si c'était de la fuite ou du rentre-dedans
jusqu'où sa langue pourrait pendre
toutes ces choses contre quoi se défendre
la gueule trop sèche pour se lécher
trop pressé pour bien s'épouiller
de la vermine qui court ses poils
il se couche sur la ville comme un voile
de sa queue d'incendie il ravage les pays
il agrandit chaque jour sa spirale fatale
et engloutit le monde dans son tribunal
il n'a jamais su
où son esprit s'était-il perdu
il s'entête à courir sans sa tête
que vaut la raison lorsqu'on est une bête
 
vint un jour sans savoir pourquoi
le chien rouge fut très las de tout ce trépas
il enfila une enveloppe de peau
la peau d'un homme dans laquelle il se sentit un chien nouveau
peut-être qu'ainsi la vie pourrait le surprendre
il avait des mains il ne restait plus qu'à les tendre
mais le chien rouge n'avait qu'une pensée
celle-là même qu'il eut fallut oublier
  un amour coupé trop court
et son destin trop lourd à porter
il avait beau avoir l'air d'être humain
au fond de lui-même il n'était qu'un chien
alors en lui le feu repris
qui fit fondre la peau nouvelle
cette peau qui ne lui avait rien appris
juste la trace d'un vide cruel
il repartit en chasse bondissant sur son cri
explosant de toute sa masse chaque mur devant lui
 
le chien rouge n'a de raison d'être que la fureur de sa quête
d'un monde entier qu'il pourrait réchauffer
alors qu'au milieu des flammes et de sa fumée
on ne compte plus les pays dévastés
les terres brûlées sans y croire
sans même s'en apercevoir
le chien rouge n'a pas d'oreilles
ventre affamé n'a pas son pareil
pour rester sourd aux humaines caresses
il se nourrit dans les poubelles
de boites en fer pour son coeur de pierre
résidus de la ville et de ses prières
il rogne les fragments d'amour
abandonnés au fond des cours
il en arrache chaque sentiment
mais jamais ne s'en repaît vraiment
c'est alors que la colère le reprend
sur le pavé qu'il rend brûlant
il ouvre en grand ses yeux chauffés à blanc
il cherche sa victime son prochain crime
une chair à enlacer jusqu'à la lacérer
du sang à faire bouillir juste pour s'en nourrir
il bondit dans le troupeau
et massacre plus qu'il ne lui en faut
il écrase et déchire les corps de ses lourdes pattes de feu
il arrache les coeurs
et rendu fou par l'odeur
se vautre dans le sang
remplissant sa gueule de néant
son orgie finie il repart droit devant
abandonnant derrière lui la ville engloutie
dans les flammes les larmes et les cris
 
un soir sur son tumulus
il se retournait sur ses tumultes
en suivant des yeux le rouge sillon de sang
qui enflamme jusqu'à l'infini
en racontant sa vie
alors profitant de ce court répit
la terre entière se liguait contre lui
et se retournant sur son avenir
il cru un instant voir venir le pire
se dressait une armée bardée de déni
jusqu'à la gueule bourrée de mépris
alignant ses robots et ses pauvres propos
la peur au ventre comme motivation
elle porte en elle l'échec et la soumission
il aurait pu d'un grand rire de chalumeau
balayer d'un coup ces fourmis inquiètes et désuètes
leur maigre défense s'agitant dans la démence
d'une grande panique cherchant cohérence
mais il profitait un peu du spectacle
pour une fois que c'était pas lui le maître de cérémonie
il aurait pu s'il ne l'était déjà
rougir en voyant tout ça
en son honneur un tel branle-bas de combat
de tous ces branleurs en contrebas
alors il descendit d'un pas tranquille
chatouillé par les assauts fébriles
de leurs piètres petites charges explosives trop peu incisives
leurs petites flèches mal emplumées et leur balistique dépassée
les petites piques qu'ils tiennent le doigt en l'air
croyant faire la guerre
 
quand il en eut marre
il les remercia du fond du coeur
son coeur encore plus chaud que toute sa peau
il s'ouvrit la poitrine
et un fleuve de feux noya tous ces prétentieux
il balayait tout ça du revers de son regard
et reprit sa course comme s'il était en retard
il avait encore tant de mondes à détruire
tant de vert à noircir tant de bleu à obscurcir
tout ce rouge à chauffer à blanc
pour que partout il disperse ses enfants
ses foyers joyeux et conquérants.
 
Mano Solo 2000