Le droit de réponse, en rouge les parties sucrées par Libé.
L'EXCLUSION POSITIVE
Un homme malade nest-il quun homme malade ? Ne peut-il nêtre rien dautre ? À en croire la presse française et plus dernièrement L.Perrin, la réponse est oui. Quand un malade entre dans la pièce, cest un malade qui entre, pas un homme, accessoirement malade. Quand cest un malade qui parle, bin cest forcément une parole de malade, pas une parole dhomme. Alors quand un malade chante, bin forcement il chante sa maladie. Point, ya pas à chercher plus loin. Après il peut raconter nimporte quoi, on sen fout. Nous on sait quil est malade, hein, il va pas nous la faire à lenvers.
Vous savez quoi ? Bin il en peut plus le malade. Vraiment là il en a trop marre. Il est quand même content dapprendre de la plume dun journaliste quil est tiré daffaire, lui nétait pas au courant, ses médecins non plus dailleurs, bonne nouvelle finalement ! Vive la presse ! Vive la presse qui fait croire aux gens quon ne meurt plus du sida
Mais le malade se demande quand même comment fait-on pour étaler la vie des autres si mal, avec autant de voyeurisme et de vulgarité, il se demande si le rôle de la presse est vraiment de se cantonner dans la délation gratuite de tout et de rien, et a tous propos.
Je suis un type extraordinaire, capable de ramener nimporte quel journaliste sérieux au niveau du pigiste de base, de la pire des presses à scandale. Il y a plus de dix ans que je nai pas parlé de sida aux journalistes. La dernière fois cétait dans le Nouvel Obs pour expliquer aux gens quil était temps de me lâcher la grappe sur le sujet. Que non, mon uvre nétait pas celle dun sidéen. Que oui jen ai parlé dans la chanson « Cest pas du gâteau », mais qui a écouté que cette chanson ne parle pas de sida, mais du désir de faire un enfant ? Faut croire que personne. Jai publié depuis plus de 80 chansons, je défie Ludovic Perrin de concrètement y déterrer un discours quelconque sur le sida. Jai effectivement souvent travaillé sur le thème de la mort, mais un jour un journaliste ma dit que Brassens avait fait en tout, une cinquantaine de chanson sur la camarde, la-t-on appelé « le chanteur de la mort » ? A-t-on vu toute son uvre à travers le prisme de sa peur de mourir ? Certainement pas. Mais, ah, le sida cest différent. La machine à fantasmes des années 80 nest pas si loin. On est tout prêt à oublier tout respect pour lindividu. Petit on na pas le droit de montrer les handicapés du doigt, alors on se venge plus tard en se faisant journaliste
Si un jour jai pu dire à un journaliste que oui, javais le sida, cest parce que oui, et alors ? Ce que je démontre par ce cheminement cest une exclusion positive, car le journaliste lui ne va plus retenir que ça. Ça fait dix ans quil tombe dans le piège. Jai beau lui dire mille fois que le sida na rien a voir dans ce que jécris, jai beau chanter mille mondes différents, le journaliste ouvrira son article sur un rapport de mon état de santé présumé. Comme Le Pen il veut absolument que ce soit marqué sur ma carte didentité. Il ne se rend même pas compte de ce quil fait. La plu part du temps il a pourtant envie de dire du bien, mais ne peut sempêcher dintroduire de sa délation, menfermant dans une identité que je nai jamais revendiquée. Surtout il ne me laisse aucun choix, aucune liberté. Comme je nen parle pas, il en parle à ma place. La presse a tant et si bien gonflé le sida de Mano Solo, quelle même en est venue à croire que cétait mon fond de commerce. Pourquoi tu dis pas carrément « Putain Mano depuis quon dirait quil a plus mal nulle part, cest devenu de la guimauve son truc. Ce quil est long à mourir ce type
», Ludovic ?
Moi ce que je vois cest quun type qui a le sida bin il a pas le droit décrire des chansons pour Juliette Greco et de finalement les chanter soi-même. Que cette info a du téchapper à propos de cet album
Pour toi cétait clair, un sidéen ça doit raconter des histoires de sidéen, sinon cest pas intéressant. Un sidéen ca doit être marqué au fer rouge, cette information est absolument indispensable à toute oreille susceptible dentendre ses chansons. Escuse-moi Ludovic mais là je ne vois que délation voyeuriste, vulgaire et gratuite. Je ne vois que facilité journalistique, mépris total dun individu. Jappelle ça lexclusion positive. La presse me nie le droit de vivre sans létiquette du sida sur le front. Quoi que je fasse on me ramène au même endroit. Je suis désolé Ludovic, je sais jaurais dû mourir jeune comme James Dean ou Cyril Collard, là tu aurais avec tous les autres, fait de moi un mythe éternel. Bin ouais mais tu sais ya que la presse pour avoir rêvé ça, parce que le public lui, depuis dix ans dans la salle, il voit bien chaque jour que je suis pas venu pour lui claquer dans les pattes. Il a des oreilles, lui, et il comprend bien que je lui parle de bien des choses. Que je ne suis pas un sidéen mais un artiste, un musicien, un chanteur dessinateur sur scène, qui crée des images en couleurs musicales. Un homme, quoi.
Finalement, que jai le sida ça a lair dêtre plus votre problème que le mien. Bin gardez-le et me faites pas chier avec, journalistes ! Si vous naimez pas mes chansons, argumentez, mais que vient faire le sida là-dedans ? À qui est-il le plus utile ? À vous ou a moi ? Mon sida ? Oui il est bien là messieurs, mais chaque jour cest vous qui le réinventez, cest vous qui vivez avec, bien plus que moi. Cest vous qui allègrement en badigeonnez mon uvre à grands coups déditos. Pas moi.
Mano. 25/09/04
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